Christian Eboulé

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Assimi Goita

Le colonel Assimi Goita, allant à la rencontre de l’ancien président nigérian et médiateur de la CEDEAO Goodluck Jonathan, au ministère de Défense, à Bamako, au Mali, le 24 août 2020.

© AP Photo/Baba Ahmed

Depuis plusieurs semaines, la tension ne cesse de s’accroître dans le nord du Mali entre le gouvernement de la transition et les membres du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), alliance de groupes armés ayant signé un accord de paix avec l’Etat malien en 2015. Après les affrontements de ce 12 septembre à Bourem, localité située entre Gao et Kidal, l’accord de paix de 2015 peut-il être considéré comme caduc ?

Le 13 septembre dernier, dans un communiqué de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), l’un des principaux membres du CSP-PSD, l’on a appris que la veille, « des unités tactiques des forces de l’Azawad ont lancé une action anticipative contre l’armée malienne et ses partenaires de la milice terroriste Wagner à Bourem (située à moins de 100 km de Gao). »

Des affrontements violents

D’après le bilan établi par la CMA, ces affrontements ont été extrêmement violents. « Environ 97 victimes Famas [Forces armées maliennes, NDLR] dénombrées et plusieurs dizaines d’autres blessés dont des cas graves ; 39 véhicules détruits, dont des blindés ; 15 véhicules emportés ; une grande quantité d’armements et de munitions saisie ; de notre côté, nous déplorons la perte de 9 hommes et 11 blessés », précise l’organisation.

Communiqué CMA

Une version des faits qui diffère nettement de celle rendue publique le jour de l’attaque par l’état-major général des armées maliennes. Celui-ci assure avoir repoussé une attaque complexe impliquant des voitures piégées.

Quant au bilan, l’état-major général précise qu’il est de dix morts et treize blessés dans les rangs de l’armée, tandis que 46 « terroristes » ont été tués.  

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Au vu de l’escalade observée ces derniers jours entre les deux parties, ces combats semblaient inéluctables. Le 9 septembre dernier en effet, la CMA a affirmé avoir abattu « un avion des terroristes FAMA/WAGNER suite à des bombardements sur ses positions. »

De son côté, l’armée malienne a plutôt évoqué « un incident aérien [qui] s’est produit au nord de Gao impliquant un aéronef de l’armée de l’air malienne. »

Le lendemain, par la voix de son président Alghabass Ag Intalla, le CSP-PSD a déclaré sur Facebook qu’il adopterait dorénavant toutes les mesures de légitime défense contre les autorités de la transition, et ce « partout sur l’ensemble du territoire de l’Azawad » [Azawad est un nom d’origine touareg qui désigne globalement le nord du Mali, NDLR].

Par ailleurs, l’organisation « appelle les populations civiles à s’éloigner au maximum des installations, mouvements et activités militaires et les rassure que ses forces feront de la sécurisation des personnes et de leurs biens leur priorité contre toutes sortes de menaces. » 

Un coup de canif dans l’accord d’Alger 

Cet appel à la mobilisation des populations locales par le CSP-PSD qui s’oppose ainsi de facto aux forces armées maliennes, s’apparente à un coup de canif dans l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger et signé en mars 2015.

A l’origine, l’accord d’Alger visait à créer les conditions d’une paix durable dans le nord du Mali qui a connu une série de rébellions touareg depuis les premières années d’indépendance du pays en 1960.

Conclu après la reprise en 2014 de plusieurs localités du nord par les groupes rebelles, dont la ville stratégique de Kidal, cet accord était aussi destiné à éviter le délitement de l’Etat malien, tout en créant les conditions d’une réconciliation nationale. 

Depuis, sa mise en œuvre s’est avérée laborieuse. L’une des rares avancées notables a eu lieu en 2018 sous le gouvernement de feu le président Ibrahim Boubacar Keïta, avec le déploiement du Mécanisme opérationnel de coordination, une force rassemblant anciens rebelles et soldats de l’armée malienne. 

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La première réunion du comité de suivi de l’accord ne s’est tenue qu’en février 2021, à Kidal, ville symbole du nord toujours aux mains de la CMA, la Coordination des mouvements de l’Azawad. 

Mais surtout, depuis le double putsch d’août 2020 et de mai 2021 qui a conduit à la prise de pouvoir des militaires, les discussions sur la mise en place de l’accord n’ont eu de cesse de se tendre au fil des mois. 

En décembre 2022, le CSP-PSD a même suspendu sa participation aux instances de suivi de l’accord. L’organisation entendait dénoncer « l’absence de volonté politique des autorités de transition ».

La bataille de Kidal

La récente succession d’incidents sécuritaires et d’attaques entre les forces armées maliennes et les groupes armés membres du CSP-PSD, coïncide avec la reconfiguration sécuritaire actuellement à l’œuvre dans le nord du pays.

Depuis le départ en 2022 de la force française Barkhane et celui toujours en cours de la Minusma, la mission des Nations unies, toutes les deux poussées vers la sortie par le gouvernement de transition, chacun des protagonistes sur le terrain entend tirer profit de la situation. 

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Ainsi, la CMA estime que la Minusma ne doit pas rétrocéder ses camps aux autorités maliennes comme elle l’a fait en août dernier à Ber, près de Tombouctou. Selon elle, ces zones devraient être sous son contrôle, conformément aux arrangements sécuritaires liés à l’accord d’Alger.

Auteur d’un ouvrage intitulé « Marchands d’angoisse. Le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être » (éd. Grandvaux, 2019), le sociologue malien Mohamed Amara estime « qu’en l’état actuel de la situation, l’accord d’Alger n’existe plus. »

Et il ajoute : « Deux des principaux protagonistes de l’accord, à savoir le pouvoir de transition malien et la CMA sont entrés dans une logique de guerre. Cet accord est donc dépassé, caduc. »

Journaliste et spécialiste de l’actualité africaine, Serge Daniel abonde dans le même sens. S’appuyant sur les récents événements de Bourem, il explique : « Bourem se situe entre Gao et Kidal, et vous savez que la Minusma doit bientôt libérer le camp de Kidal. L’armée malienne entend occuper ce camp. Pour les ex-rebelles, qui deviennent à nouveau rebelles, c’est un casus belli. C’est donc la bataille de Kidal qui a commencé. L’accord de paix vole en éclats. »

Le recouvrement de la souveraineté

La reprise des hostilités dans le nord du pays entre l’armée malienne et les groupes armés à dominante touareg, a contraint le chef des autorités de transition, le colonel Assimi Goïta, à annuler les festivités autour de la fête de l’indépendance prévue le 22 septembre prochain.

La semaine dernière, dans un communiqué rendu public à l’issue du conseil des ministres, le président de la transition a demandé au gouvernement d’allouer les fonds prévus pour ces festivités aux victimes des récentes séries d’attaques et à leurs familles.

Les conditions d’une mobilisation des réservistes ont également été évoquées au cours de ce conseil des ministres.

Depuis l’officialisation en juin dernier du retrait des casques bleus à la demande de Bamako, les forces armées maliennes ont pris possession des bases de la Minusma dans le nord. Une situation jugée inacceptable par le CSP-PSD qui y voit une violation manifeste de l’accord d’Alger.

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« Aujourd’hui, la CMA comme le CSP-PSD s’inscrivent dans une logique d’indépendance, et ce depuis la rétrocession de Ber par la Minusma à l’armée malienne. Et cette logique d’indépendance nous ramène dans le passé du Mali, celui de 2012. », souligne le sociologue malien Mohamed Amara. 

A l’époque, le MNLA, Mouvement national pour la libération de l’Azawad, et des groupes armés djihadistes lancent une série d’attaques contre l’armée dans le nord. Conséquence : le Mali plonge dans une profonde crise politique, sécuritaire et humanitaire dont il n’est toujours pas sorti. 

D’ailleurs, les autorités actuelles ont fait du recouvrement de la souveraineté l’un de leurs chevaux de bataille. Un objectif qui se heurte évidemment aux différents groupes armés qui contrôlent de vastes territoires dans la région septentrionale.

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La création il y a quelques jours de l’AES, l’alliance des Etats du Sahel, qui unit désormais le Mali, le Niger et le Burkina Faso, constitue sans doute une réponse à la situation actuelle.

Les articles 4 et 6 de la charte de cette alliance concernent en effet la possible mutualisation des forces pour lutter contre le terrorisme, mais aussi, en théorie, les groupes armés à dominante touareg.

By Albert C. Diop

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