
Partager
Les dirigeants africains ont clos le 2e sommet climat du continent, marqué par des annonces financières inédites et l’affirmation d’une Afrique actrice de solutions sur la scène internationale.
Le deuxième Sommet africain sur le climat (ACS2) marque un tournant dans la stratégie continentale face aux enjeux climatiques. Avec 150 milliards de dollars d’engagements financiers et le lancement d’initiatives structurantes, l’Afrique entend désormais se positionner en force de proposition plutôt qu’en simple bénéficiaire de l’aide internationale. Un changement de paradigme salué mais nuancé par les experts de la société civile.

« L’Afrique s’affirme de plus en plus comme actrice de solutions, et non seulement comme victime de la crise climatique. On voit émerger une feuille de route commune, axée sur l’investissement et l’innovation, avec des initiatives structurantes comme le Africa Climate Facility », analyse Aissatou Diouf, responsable des politiques internationales et du plaidoyer au sein de l’ONG ENDA Énergie basée à Dakar.
Cette transformation stratégique se concrétise par des annonces financières d’envergure. Cinquante milliards de dollars vont être mobilisés via le nouveau Pacte africain pour l’innovation climatique (ACIC, sigle anglais) et le Fonds africain pour le climat (ACF), auxquels vont s’ajouter 100 milliards d’engagement des institutions financières africaines et de développement.
Pour Alexandre Guibert Lette, Directeur exécutif de l’ONG Teranga Lab et spécialiste en plaidoyer, « le sommet confirme que l’Afrique passe d’une posture de simple demandeuse d’aide à une stratégie d’offre d’opportunités d’investissement vertes. Les dirigeants ont clairement cherché à positionner le continent comme un marché d’investissements climatiques. »
Ce repositionnement s’inscrit dans une ambition plus large exprimée par les dirigeants du continent. « Nous ne nous réunissons pas seulement pour discuter du changement climatique, mais aussi pour façonner une décennie africaine de résultats, une décennie au cours de laquelle l’ambition se transformera en projets concrets », a déclaré le Dr Fitsum, ministre de la Planification et du Développement d’Éthiopie.
« Le deuxième sommet africain sur le climat vise à présenter les solutions africaines en matière de climat, à mobiliser des financements à grande échelle et à transformer nos ressources naturelles, notre capital humain et nos écosystèmes d’innovation en une prospérité partagée », a-t-il précisé.
Des mécanismes prometteurs mais des défis majeurs à relever
Si les experts saluent ces initiatives, ils appellent néanmoins à la prudence quant à leur mise en œuvre effective. « Ces mécanismes sont prometteurs car ils peuvent mobiliser les ressources déjà présentes sur le continent et réduire notre dépendance aux prêts extérieurs conditionnés. C’est un pas vers plus d’autonomie », souligne Aissatou Diouf.
L’enjeu de l’autonomisation financière est d’ailleurs au cœur du discours des dirigeants africains. « En mobilisant d’abord les capitaux africains, nous changeons la dynamique. Nous montrons au monde que nous ne sommes pas des candidats, mais des partenaires d’investissement qui invitent les capitaux mondiaux à se joindre à une initiative déjà en cours, structurée et sans risque pour l’Afrique elle-même », a déclaré Wamkele Mene, secrétaire général de la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (Zlecaf).
Toutefois, pour y arriver, Aissatou Diouf estime que les dirigeants africains devront surmonter trois défis majeurs. Le premier, d’après elle, est lié à la transparence dans la gestion, s’en suit la capacité à générer un portefeuille de projets solides et bancables, et enfin une meilleure prise en charge de la question de l’adaptation qui reste le parent pauvre des financements. Une préoccupation d’autant plus critique que l’Afrique réclame 579 milliards de dollars d’ici 2030 uniquement pour l’adaptation.

Alexandre Guibert Lette partage cette analyse nuancée et note que « ces mécanismes sont nécessaires mais pas suffisants. » Il estime que sans réforme de l’architecture de la dette, sans garanties publiques ciblées pour le financement d’infrastructures résilientes et sans transfert de technologies, l’Afrique restera vulnérable. « Il faut donc coupler innovations financières et réformes structurelles pour que l’argent profite aux solutions locales », plaide-t-il.
Les résultats concrets de cette stratégie commencent déjà à émerger, selon les responsables politiques. « L’ACS2 a démontré, sans l’ombre d’un doute, que l’Afrique continue de jouer un rôle de premier plan dans l’agenda climatique mondial », a affirmé Ali Mohamed, envoyé spécial du Kenya pour le changement climatique.
M. Mohamed en veut pour preuve l’adhésion des institutions financières locales au mandat politique visant à mobiliser 100 milliards de dollars.
Pour Aissatou Diouf, le principal écueil à éviter serait de « créer de nouveaux instruments financiers qui ne soient pas véritablement accessibles aux pays les plus vulnérables. Le grand défi, c’est la mise en œuvre et l’inclusivité. »
L’efficacité de ces nouveaux mécanismes dépendra de trois choses : la gouvernance (transparence et capacité d’absorption), des instruments réellement concessionnels pour l’adaptation, et des règles claires pour éviter d’alourdir la dette, précise Alexandre Guibert Lette.
Les solutions basées sur la nature, un atout à structurer
Le sommet a particulièrement mis l’accent sur les solutions fondées sur la nature, considérées comme un avantage comparatif de l’Afrique. Celles-ci sont une force pour l’Afrique, car elles allient climat, biodiversité et développement local, explique Aissatou Diouf, citant la Grande Muraille Verte ou l’initiative Héritage Vert en Éthiopie.
Si ces solutions sont salutaires, l’experte nuance cependant leur efficacité et appelle à aller plus loin. « L’expérience nous enseigne que planter des millions d’arbres ne suffit pas. Le suivi, la gestion communautaire, le financement pérenne et l’intégration dans les politiques agricoles et foncières sont essentiels », relève-t-elle.
Elle insiste sur la nécessité de « passer d’initiatives symboliques à de véritables programmes structurants, capables de créer des emplois et de changer la vie des communautés sur le long terme. »
Alexandre Guibert Lette se veut plus concret et affirme que pour dépasser le stade des projets pilotes, il est essentiel de mettre en place des cadres nationaux et régionaux harmonisés, d’assurer des financements pluriannuels basés sur les résultats, de renforcer les capacités des acteurs locaux, et de développer des mécanismes de marché, comme les paiements pour services écosystémiques.
La nouvelle posture africaine trouve un écho favorable auprès des observateurs internationaux. « C’est l’opportunité de notre époque. L’Afrique dispose des ressources. L’Afrique dispose des marchés. L’Afrique dispose de la population. Et l’Afrique dispose des solutions », a déclaré Selwin Charles Hart, conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU pour l’action climatique et la transition juste.

Kate Hampton, directrice générale de la Children’s Investment Fund Foundation, salue également cette évolution. « L’ACS continue de garantir que l’Afrique soit à l’avant-garde de l’agenda climatique mondial. Le message est clair : le continent se trouve à un moment où d’immenses opportunités s’offrent à lui en matière de croissance verte et de création d’emplois. »
Toutefois, elle appelle à une approche pragmatique. « Tout comme pour le processus de la COP, nous devons tous passer de la négociation de textes à la négociation de partenariats économiques concrets. Cela exige que chacun, des jeunes aux ministres des Finances, contribue à façonner l’avenir de l’Afrique », soutient-elle.
Cette approche intégrée trouve sa traduction dans le discours de Wamkele Mene. « Nous ne nous concentrons pas sur des projets isolés, mais sur des écosystèmes complets, des industries qui ancreront les futures chaînes de valeur de l’Afrique. L’Afrique n’attend pas. Nous ne sommes plus les destinataires de plans d’action externes. Nous sommes les architectes de notre propre avenir vert », souligne-t-il.
Un « Pacte » pour peser à la COP30
Le Pacte africain pour l’innovation climatique, qui vise à développer 1 000 solutions africaines d’ici 2030, constitue selon les experts un levier diplomatique majeur pour la COP30 au Brésil.
« Ce Pacte envoie un message fort : l’Afrique veut être force de proposition et moteur d’innovation climatique. Cela lui donne plus de poids diplomatique et politique pour défendre ses priorités à la COP30 », analyse Aissatou Diouf.
Toutefois, tempère-t-elle, « pour transformer cette position en réel levier, il faudra arriver avec des preuves concrètes : des projets financés, des innovations testées à grande échelle, des résultats mesurables. »
Alexandre Guibert Lette confirme cette lecture stratégique. « Le Pacte donne à l’Afrique une position collective : cela renforce sa capacité de négociation avec un seul message continental sur financement, transfert de technologies, et justice climatique. Politiquement, l’Afrique peut désormais exiger des engagements concrets en s’appuyant sur des engagements internes mis en œuvre, ce qui augmente la crédibilité de ses demandes », dit-il.
Dans la Déclaration d’Addis-Abeba, les dirigeants ont d’ailleurs fixé leurs priorités pour la COP30, exigeant un financement climatique de qualité qui n’aggrave pas la crise de la dette des pays africains, conformément aux principes d’équité et de responsabilités communes mais différenciées.
Le test de la crédibilité

Pour les deux experts, le véritable défi réside maintenant dans la concrétisation de ces ambitions. « L’Afrique a posé les bases, mais la route est encore longue pour transformer ces ambitions en résultats tangibles », résume Aissatou Diouf.
Alexandre Guibert Lette insiste sur l’urgence de l’action et signale que « le défi, c’est donc la crédibilité, et l’opportunité, c’est de montrer au monde que l’Afrique peut être un laboratoire vivant de solutions climatiques. Reste à convertir les promesses en financements accessibles aux communautés. »
Cela devrait ainsi permettre d’éviter que « ce Pacte reste une belle déclaration de principe », alerte Aissatou Diouf.
Avec ces initiatives, l’Afrique entend arriver à la COP30 non plus en position de demandeur mais en acteur incontournable des solutions climatiques mondiales. L’enjeu est désormais de prouver que ce changement de discours s’accompagne de réalisations concrètes sur le terrain.
Dans ce contexte de repositionnement continental, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a annoncé la candidature de son pays pour organiser la COP32 en 2027.
« Pour concrétiser cette vision, je propose le lancement d’un Pacte africain pour l’innovation climatique, un partenariat audacieux à l’échelle du continent qui réunira nos universités, nos instituts de recherche, nos start-ups, nos communautés rurales et nos innovateurs », a-t-il déclaré.
« C’est pourquoi l’Éthiopie est fière de présenter sa candidature pour accueillir la COP32 en 2027. Nous invitons le monde entier dans la capitale africaine de la diplomatie et de l’ambition climatique, afin de découvrir nos solutions et de contribuer à façonner l’avenir », a-t-il conclu.
ARD/ac/APA