Christian Eboulé

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Derna

Une vue générale de la ville de Derna, en Libye, le mardi 12 septembre 2023, après le passage de la tempête méditerranéenne Daniel, qui a provoqué des inondations dévastatrices et meurtrières, en particulier à Derna. 

© Photo AP/Jamal Alkomaty

Ces derniers jours, l’est de la Libye a été ravagé par un cyclone méditerranéen qui a provoqué des inondations dévastatrices et la mort de milliers de personnes. Chercheur du CNRS au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, Robert Vautard analyse pour nous ce phénomène appelé « medicane » en anglais, contraction de « mediterranean » et de « hurricane » (ouragan). 

TV5MONDE : D’un point de vue météorologique, pouvez-vous nous expliquer le phénomène dont a été victime l’est de la Libye ?

Robert Vautard : Nous sommes face à un phénomène de dépression qui s’est produite dans une configuration météorologique avec trois structures : une structure dépressionnaire au large de la péninsule ibérique, une structure anticyclonique sur la France avec une vague de chaleur, et une structure dépressionnaire sur la Grèce qu’on appelle « Omega Block », un blocage en oméga en français [anticyclone avec deux zones de basse pression qui forment les « pattes » de la lettre grecque oméga, NDLR].

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Ces trois phénomènes sont liés. La dépression qui était sur la Grèce était due à des masses d’air froid qui arrivaient en altitude, comme souvent en fin d’été ou en début d’automne. Avec l’air froid qui commence à revenir par le nord-ouest et une mer Méditerranée encore très chaude, on a des conflits de masses d’air qui créent des pluies très intenses et des orages très violents. 

Et cette dépression qui était sur la Grèce s’est réalimentée en eau chaude et en humidité sur la Méditerranée, ce qui a intensifié une tempête qu’on peut qualifier de cyclone méditerranéen. En anglais, on parle de « medicane », contraction de mediterranean et de hurricane [ouragan en anglais, NDLR]. C’est ce « medicane » qui s’est retrouvé sur les côtes libyennes par l’effet conjugué des températures élevées de la mer et des courants atmosphériques.

TV5MONDE : En Libye comme en Grèce les pluies ont été d’une extrême violence. Pour quelles raisons ?

Robert Vautard : Les pluies d’une telle violence sont dues à des conflits de masses d’air et à une mer méditerranée qui est très chaude. Avec en plus, la capacité de l’air à se charger en humidité.

Du fait du changement climatique, on a ce surplus de vapeur d’eau dans l’atmosphère qui, lorsqu’elle descend, fait des quantités plus importantes de pluies lors de ces événements extrêmes qui sont du coup plus violents encore. 

TV5MONDE : Est-ce que ce phénomène est une conséquence directe du réchauffement climatique ?

Robert Vautard : Je dirais les choses de façon quelque peu différente. Ce sont des phénomènes qui sont naturels, en ce sens qu’en automne, ces événements méditerranéens intenses sont connus. En revanche, ils sont dopés en intensité par le changement climatique. Mais pour pouvoir conclure de façon détaillée, il faut vraiment faire une étude précise du phénomène.  

TV5MONDE : Faut-il craindre la récurrence de ce type de cyclone en Méditerranée ?

Robert Vautard : Toutes les régions de la Méditerranée sont susceptibles d’être touchées par ce phénomène. D’après le dernier rapport du GIEC, les « medicane », qui sont des phénomènes qui ne sont pas nouveaux, avaient plutôt tendance à être moins nombreux mais plus intenses. 

Victimes tempête

Des ouvriers enterrent les corps des victimes des récentes inondations causées par la tempête méditerranéenne Daniel, près de la ville de Derna, en Libye, le mercredi 13 septembre 2023.

© Photo AP/Yousef Murad

Le gros problème c’est que ce sont des phénomènes qui restent de petite échelle, et par conséquent, bien souvent, lorsqu’ils se produisent à un endroit les gens n’ont jamais subi ça de leur vie. Mais ça s’est potentiellement produit dans une région voisine. Ce sont donc des phénomènes qui sont connus, notamment en Afrique du nord, en Algérie, au Maroc et en Tunisie.

C’est vrai qu’en Libye ce sont des choses tout à fait étonnantes. Mais quand on regarde la région dans son ensemble, ce ne sont pas des phénomènes inédits. Simplement, les intensités sont plus fortes. 

By Albert C. Diop

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