Mali: les colonels putschistes s’élèvent au grade de général, une auto-promotion qui fait débat

Au Mali, le colonel Assimi Goïta est désormais général. Le président de transition a été élevé en grade dans une décision prise mercredi 16 octobre 2024 en Conseil des ministres. C’est le cas des autres colonels qui avaient mené à ses côtés le coup d’État militaire d’août 2020, et qui occupent depuis des postes clés dans les institutions de la transition. Une auto-promotion présentée comme une demande populaire et qui suscite des réactions diverses.

RFI

Le président de la transition malienne, Assimi Goita, participant au premier sommet ordinaire des chefs d'État et de gouvernement de l'Alliance des États du Sahel (AES) à Niamey, au Niger, le 6 juillet 2024.
Le président de la transition malienne, Assimi Goita, participant au premier sommet ordinaire des chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance des États du Sahel (AES) à Niamey, au Niger, le 6 juillet 2024. © Reuters

Par :David Baché

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« D’armée » ou « de corps d’armée » – c’est le nombre d’étoiles qui change – les cinq colonels qui ont pris le pouvoir au Mali sont tous élevés au grade de « général », « à titre exceptionnel », indique le communiqué du Conseil des ministres.

Le président de transition Assimi Goïta, mais également ses camarades de putsch : l’actuel président du Conseil national de transition (CNT) Malick Diaw, le ministre de la Défense Sadio Camara, le ministre de la Réconciliation nationale Ismaël Wagué, et le chef de la Sécurité d’État Modibo Koné.

Le ministre de l’Administration territoriale Abdoulaye Maïga, lui, ne faisait pas partie des meneurs du coup d’État, mais il a acquis une grande envergure depuis quatre ans. Lui et plusieurs autres figures de la transition, au sein du gouvernement ou de l’armée, sont également promus.

Présenté comme une demande populaire

On note que ce n’est pas le cas de l’actuel chef d’état-major général des armées, le général Oumar Diarra, alors que son adjoint, le général Kéba Sangaré, figure parmi les heureux montés en grade. Déjà général de division, une promotion du général Diarra l’aurait fait accéder au même niveau que les meneurs du coup d’État. Apparemment inenvisageable.

Ces nominations sont évidemment plébiscitées par les soutiens des autorités de transition et présentées comme une demande populaire : elles figuraient parmi les recommandations du « dialogue inter-Maliens » organisé au printemps dernier par les autorités de transition. Pour ces soutiens, les militaires qui dirigent le pays sont des « hommes forts » qui servent le pays et méritent cette forme de reconnaissance.

Promesses non-tenues

Les voix critiques, parmi les opposants les plus farouches mais pas seulement, expriment pourtant des doutes.  Ces voix estiment que les promesses de la transition n’ont pas – ou peut-être pas encore – été tenues, à commencer par la sécurisation du territoire, et qu’il n’y a donc pas lieu de s’octroyer des récompenses.

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Les augmentations de salaire qui vont de pair avec ces promotions ne sont pas forcément bien perçues non plus. Cela dans un contexte où les finances publiques ne sont pas au mieux, et où les populations sont durement affectées par l’augmentation des prix et par des inondations sans précédent.

« Dans les traditions, ce sont les autres qui nous élèvent »

Si ces critiques s’expriment dorénavant dans un cadre privé ou de manière anonyme, afin d’éviter toute répression, Moussa Mara a quant à lui immédiatement déploré ces nominations. « Je suis doublement peiné, confie l’ancien Premier ministre. La première peine, c’est que les traditions maliennes font qu’on ne s’élève pas soi-même, ce sont les autres qui nous élèvent. Le fait de se gratifier, cela diminue grandement le mérite de la gratification », estime encore Moussa Mara.

Il rappelle également que « les responsables de la transition sont en mission, comme par le passé Amadou Toumani Touré était en mission et c’est à la fin de la transition qu’Amadou Toumani Touré a été gratifié par le président élu » En 1991, le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré (ATT) renversait la dictature du général Moussa Traoré. Élu en 1992, le président Alpha Oumar Konaré l’élève au grade de général. ATT deviendra ensuite à son tour président, démocratiquement élu, dix ans plus tard.

« Ma seconde source de tristesse, c’est quand même le contexte, insiste enfin Moussa Mara. Les autorités augmentent leurs avantages ! Il est clair qu’en tant que général, on gagne davantage qu’en tant que colonel. Surtout quand il s’agit de généraux avec plusieurs étoiles… » Moussa Mara juge : « Pour moi, c’est l’inverse de ce qu’il faut faire aujourd’hui, eu égard au contexte de grandes difficultés dans lesquelles les Maliens vivent. Et nos autorités elles-mêmes ne cessent de demander aux Maliens de faire des efforts, de continuer à patienter : en ce moment, eux aussi doivent montrer qu’ils patientent, qu’ils acceptent les difficultés et pas le contraire. »

RFI

By Albert C. Diop

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