L’Ecole de l’enseignement technique et de la formation professionnelle de Boghé a abrité ce samedi 19 Octobre 2024 un atelier sur la migration et la sureté nationale.

L’initiative émane de l’ONG ATED (Association Terre Espoir pour le Développement) avec le soutien de la commune de Boghé, de l’école de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, LemAfriQ et le CSVVDH.

L’objectif général est de créer une tribune libre où les citoyens, les migrants, les autorités ainsi que les autres acteurs non étatiques se rencontrent pour partager des informations, des expériences et bonnes pratiques sur les questions de la gouvernance migratoire et de la sécurité. Quant aux objectifs spécifiques, il s’agit : de promouvoir et renforcer le dialogue soutenu pour renforcer la collaboration et la coopération  entre les autorités  et les communautés sur les problématiques  de la migration, de la sécurité et de la mobilité humaine ; créer un forum d’échange sur des questions spécifiques  au  contexte  de la migration et la mobilité humaine dans le but de renforcer les opportunités d’une communauté migratoire  plus vaste en vue de l’apprentissage réciproque par les bonnes pratiques au niveau départemental, régional et national ; contribuer à l’actualisation de la stratégie  nationale de la migration ; créer des liens solides et  une opportunité pour les processus  consultatifs régionaux par le biais d’échange de rapports entre les différents acteurs impliqués.

Ce forum a été présidé par le Maire Alassane Adama Ba en compagnie du Directeur de l’Ecole de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle, M.  M’Rabih Abdel Razack, de Mme Déffa Hamath Kouro, M. Sy Amadou de l’ONG Action, M. Lam Aliou, M. Sy Mamadou Abou, M. Ngaide Abderrahmane Amadou (adjoint au maire), ainsi que de plusieurs hautes personnalités invitées du département de Boghé.

 Dans son mot introductif, le Maire de la commune de Boghé, M. Ba Alassane Adama, a mis l’accent sur l’importance de cette rencontre salutaire et par la suite remercié l’ONG ATED pour ses belles initiatives de développement. Lui succédant, le président de l’Association Terre Espoir pour le Développement (ATED), Mr Amadou Sall dit pape Sall, a affirmé devant l’assistance venue pour la circonstance ceci : « ATED vise à donner aux femmes et aux jeunes mauritaniens les moyens de prendre des décisions éclairées sur les questions migratoires grâce à un meilleur accès à une formation de qualité. A cette occasion, ATED en parfaite collaboration avec les autorités de haut niveau organisent un atelier d’échange et de partage sur la migration et la sûreté nationale ». Il ajoutera ensuite que « c’est un forum de la compréhension commune sur l’agenda de la migration internationale et de la gestion de la migration en Mauritanie. La rencontre s’effectuera selon l’approche suivante : les discussions s’articuleront d’une manière participative, et avec la présence des autorités, des agences des nations unies, des ONGs internationales et locales, des chercheurs de la sous-région, les notables, les responsables de communautés et surtout les migrants ».

Le premier des panélistes est M. Roméo Gbaguidi, président du Laboratoire d’Étude des Migrations Africaines (LemAfriQ), un Think Tank stratégique basé à Madrid et Professeur universitaire en Espagne.

Il a remercié l’initiative de l’Association Terre Espoir pour le Développement (ATED) pour cette rencontre qui aborde un thème d’actualité et d’une importance capitale en ces moments-ci. Il a souligné que la Mauritanie est un carrefour pour la migration internationale, car le pays sert de point d’origine, de transit et de destination pour les migrants en provenance des pays voisins et au-delà. Le paysage migratoire complexe du pays implique des schémas diversifiés englobant des hommes, des femmes et des enfants. Le besoin migratoire est assez répandu dans la sous-région ouest-africaine. Généralement, il est mu par la recherche d’un mieux-être. Mais, contrairement aux idées généralement diffusées, les citoyens ouest-africains migrent davantage vers leur sous-région ou vers le reste du continent, plutôt que de l’Afrique vers l’extérieur.

Il convient de souligner qu’en plus de la recherche de meilleures conditions de vie, les études et le regroupement familial sont d’autres motivations à l’émigration. Si cela participe aux échanges au niveau sous-régional, c’est aussi la preuve que les conditions socioéconomiques favorables ne sont pas forcément réunies dans les pays d’origine des migrants. Par conséquent, une mise sur pied de réformes en faveur du développement dans ces pays est urgente.

Pour le deuxième paneliste, en l’occurrence M. Aboubacar Sadikh Ba, qui est un sociologue sénégalais expert dans le domaine de la migration et représentant le Groupe d’Etude et de Recherches sur la Migration (GERM) basé à l’Université Gaston Berger de Saint Louis, la migration et la sécurité nationale est un sujet crucial qui touche aussi bien le Sénégal que la Mauritanie. Cette mobilité humaine et réalité pose des défis communs. Il a présenté un aperçu historique de la migration en Mauritanie et au Sénégal.  Il estime que les solutions à la migration entre ses deux pays passent, entre autres, par : la prévention, la gestion des frontières, l’application de mesures de répression contre les convoyeurs, des mesures d’assistance et de protection aux populations. Parce que la dégradation généralisée des conditions de vie en milieu rural constitue en soi un facteur répulsif qui pousse la plupart des jeunes à partir. En plus, l’inadaptation de la formation scolaire au monde du travail et l’échec scolaire incitent beaucoup de jeunes diplômés et de sans emploi émigrer. Du côté des travailleurs qualifiés (ingénieurs, médecins, sages femmes, enseignants, etc.), dans tous les entretiens, les migrants clandestins évoquent constamment l’impossibilité de trouver un emploi et l’absence de toute perspective d’insertion professionnelle comme étant les premiers facteurs qui les poussent à partir. Sans avenir, les jeunes ont le sentiment de mourir lentement dans leur pays. Emigrer est pour eux une alternative à la situation que leur offre leur pays. L’émigration est d’abord vécue comme un refus de la dévalorisation de leur condition d’être humain et une révolte face à la déchéance. Dans cette perspective, émigrer devient une quête individuelle et une affirmation de soi.  Le malaise ressenti par les jeunes s’est accentué depuis un certain nombre d’années sous l’effet des changements importants intervenus au sein de la plupart des sociétés et familles africaines. L’urbanisation croissante et son corollaire qui est la montée de l’individualisme conduisent à la nécessité de se prendre en charge dans une société pourtant en crise. La migration parait être l’option nécessaire pour le salut personnel et communautaire.

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Face à ce qu’ils considèrent comme l’archaïsme de leur propre société, les jeunes perçoivent l’Europe comme un eldorado. Pour eux, la fin justifie les moyens.

Cette perception est alimentée par les télévisions qui présentent les pays européens à travers des images de richesse, de liberté et de bonheur.

Le choix et la décision de partir des candidats à l’émigration clandestine sont aussi influencés par l’image que propagent les émigrés de retour, notamment pour passer les vacances dans le pays. Les émigrés qui reviennent au pays sont perçus comme des modèles de réussite. Ils circulent à bord de belles voitures, possèdent dans certaines localités rurales les plus grandes maisons. Ils font étalage de biens matériels acquis en Espagne.  Aux yeux des jeunes restés au pays, ceux qui sont partis ont réussi très vite. Réussir veut dire construire sa propre maison, se marier en organisant une grande cérémonie, financer le pèlerinage à la Mecque de ses parents et circuler dans de grosses voitures. Ces signes extérieurs de richesse amènent de plus en plus de jeunes gens à vouloir s’expatrier pour gagner de l’argent et imiter ces émigrés. Dans les sociétés de départ, les émigrés bénéficient d’une forte considération. Beaucoup de familles qui vivent décemment comptent des émigrés parmi leurs membres. Et cela a un impact très important sur la mentalité des gens. Beaucoup de jeunes pensent qu’il leur faut aller en Europe pour réussir.  Des études ont montré que la migration clandestine répond à un besoin objectif de main d’œuvre dans beaucoup de pays d’accueil. Les employeurs de certains secteurs (agriculture, construction) cherchent une main d’œuvre bon marché, ce que peut leur offrir la migration clandestine. Ainsi, les étrangers en situation irrégulière pensent qu’ils peuvent trouver assez facilement un emploi dans toute l’Europe, le travail au noir constituant le véritable facteur d’appel des migrants. L’immigration clandestine se nourrit d’elle-même, un départ appelant de multiples autres.

Après, ce fut le tour de M. El Hassane Jeffali, Directeur Régional Afrique du Nord du LemAfriQ et chercheur marocain spécialiste des questions de politiques migratoires et de la gestion de la diversité. Il a parlé surtout des flux migratoires au Maroc et a fait l’historique des 5 phases de la migration et la sécurité. Ces flux migratoires sont à la fois internes, transfrontaliers et transrégionaux. Selon les départements économiques et sociaux le Maroc comptait environ 103 000 migrants. Le Maroc qui est également un important pays d’origine, de transit et d’installation compte un grand nombre de migrants. Il est également un acteur actif dans le cadre du système des Nations Unies comme en témoigne, à titre d’exemple, sa contribution aux travaux du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille.

 En juin 2023 à New York, le Maroc a été réélu en tant que membre du Comité de Protection des droits de tous les Travailleurs Migrants pour la période 2024-2027 à l’occasion de la 11ème Réunion des États Parties à la Convention sur la Protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles. En janvier 2024, le Maroc a été élu, pour la première fois, à la présidence du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies pour l’année 2024.

A suite, M. Asséréhou Karl Hector Etèka, le cinquième intervenant de cet atelier, est un diplomate béninois, spécialiste des droits humains et des questions migratoires. Il a affirmé dans son intervention qu’aucun pays n’est épargné par ce problème de migration et de sécurité.  Les émigrants optent pour la voie irrégulière, avec toutes les conséquences que cela peut engendrer en matière de sécurité et de droits. Chaque État prend des mesures propres de gestion de ses frontières, du contrôle des flux internes et transfrontaliers. Les migrants sont des personnes souvent vulnérables voire en danger. La plupart des migrants originaires des pays d’Afrique de l’Ouest restent dans la région. En 2020, les deux tiers des migrants originaires de la région vivaient dans un autre pays de l’Afrique de l’ouest. Cependant, les destinations des flux migratoires se sont diversifiées ces dernières années. Comme dans d’autres régions du monde la plupart des migrants d’Afrique de l’ouest sont à la recherche d’un emploi et de meilleures opportunités économiques. Un pourcentage élevé de travailleurs migrants travaille dans le secteur informel de manière comparable à la population générale dans la région où l’emploi informel est prédominant. 

L’intervenant suivant est M. Alhousseynou Abdoulaye Sy, Conférencier- Responsable communication et marketing et responsable étude impact environnemental au Bureau africain d’étude et de contrôle en Mauritanie (FRECOM). Il a entamé sa communication en signalant trois axes que sont: l’émigration, le transit et l’immigration. M. Sy a fait l’historique de ces 3 axes et il ajoutera que le phénomène migratoire mérite une attention particulière. Il a rappelé l’émigration clandestine encore récente de plus de 30.000 mauritaniens qui sont partis et ont franchi l’Afrique pour aller chercher une vie meilleure en Amérique. M. Sy recommande vivement une sensibilisation des acteurs concernés du droit de l’état, des ONG, ainsi que d’autres institutions pour lutter contre la pauvreté et créer des emplois. Il appelle également au dialogue Nord – Sud et souhaite une meilleure intégration régionale voire sous régionale en ce qui concerne l’aspect sécuritaire.  

Enfin, Madame Sy née Lalla Aicha, présidente du Comité de Solidarité avec les Victimes des Violations des Droits Humains en Mauritanie (CSVVDH- Mauritanie) et experte en gestion de projet, plaidoyer et genre n’a pas manqué de signaler que la migration en Mauritanie est un phénomène qui a toujours existé, parce que les peuples se déplacent, et sont habitués à faire des brassages depuis longtemps.

La migration n’est pas un phénomène nouveau, par conséquent. Néanmoins, ce qui a changé, ce sont peut-être les contextes dans nos différents pays et ce sont aussi les politiques de gestion du flux migratoire qui sont la cause de tout ce que nous vivons aujourd’hui.

En faisant une certaine rétrospective, on pourra remarquer que les mauritaniens sont partis en Afrique de l’Ouest :  au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Togo, au Mali, etc. De même, Il fut une époque pas si lointaine durant laquelle l’on observait la présence en Mauritanie de beaucoup de citoyens des pays de la sous-région qui sont des travailleurs migrants. Ceux-ci se sont intégré et la population les a acceptés par leur utilité et l’apport positif. Ces migrants n’étaient pas considérés comme embêtants, ni voleurs de richesse, et ne nous faisaient pas de concurrence. Pourquoi aujourd’hui, ces derniers sont-ils maltraités. Il faut éduquer les personnes.  Car la liberté de circulation est un droit international reconnu par les textes mauritaniens.

L’état a droit de garder les frontières, les états ont le droit de surveiller leurs frontières, de les contrôler. Cependant, il faudra reconnaître que les migrants sont des travailleurs qui cherchent le mieux-être pour eux et leurs familles. Les conflits de guerre, le trafic de drogues, le banditisme, le contexte de sècheresse, la précarité et la misère, etc. sont des éléments et conditions qui durcissent la situation des migrants et les rendent encore plus vulnérables. Avant d’arriver dans le pays d’accueil, le migrant devrait s’informer sur les conditions d’entrée, connaître la législation du pays.

La mise en place d’une application d’information est déjà en cour pour les migrants. Tous les acteurs concernés doivent se concerter pour résoudre cette problématique, pour une meilleure stratégie, pour les meilleures pratiques, un travail collégial et commun. L’état, la société civile, les ONG et autres institutions doivent travailler coude à coude pour lutter contre les réseaux de passeurs, le trafic des êtres humains sous toutes ses formes aussi bien à l’origine que dans les pays de destination des migrants. Il est aussi important d’éliminer les centres de détention des migrants où ils se retrouvent maltraités.

By Albert C. Diop

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