Aboubakry Souleymane Bâ, co-président de la CVE, secrétaire général adjoint de la CAS et des FLAM:

Le Calame –– La classe politique est focalisée sur les préparatifs d’un dialogue décidé par le président de la République. Comment la CVE a-t-elle accueilli cette initiative et comment s’est-elle préparée ?

Aboubakry Souleymane Bâ : Au nom de la Coalition Vivre Ensemble (CVE), j’ai une pensée particulière pour tous les mauritaniens qui vivent des moments difficiles parce qu’ils ne sont pas enrôlés, l’éducation de leurs enfants n’est plus assurée, la justice ne leur est pas rendue, ils sont dépossédés de leurs terres, ne prennent qu’un repas par jour, ont des difficultés à se soigner et l’eau leur est devenue rare…

Pour revenir à votre question sur le dialogue que propose le chef de l’État, nous l’accueillons avec réserve car cette rencontre aurait pu se tenir dès après la présidentielle de 2019 où une crise poussait toute la classe politique – opposition et une partie de la majorité – à la réclamer. Maintenant que son second mandat est en cours, sa motivation est suspecte. En outre, qui connaît les objectifs réels de ce dialogue ? L’opposition y sera-t-elle associée du début à la fin, si elle décide de participer ?

Quant à la CVE, elle était déjà prête depuis Février 2021 avec la publication d’un document : « Contribution de la CVE au dialogue national » ; préalablement séminarisé en interne et partagé avec toute la classe politique de l’opposition, le pouvoir et certaines de ses institutions. Elle y affirmait notamment que le dialogue est la seule solution pour refonder le pays afin que le vivre ensemble y prenne forme. Dans ce document, elle proposait, compte-tenu des échecs des rencontres précédentes, propose trois possibilités de dialogue.

La première construite sur l’unité nationale et la cohésion sociale ; la seconde sur la démocratie et les libertés publiques et la troisième sur le développement économique et social. La CVE était convaincue – et l’est toujours – que ces trois bases n’appelaient pas les mêmes participants. Dans le document, des propositions concrètes étaient présentées pour trouver des solutions à tous les problèmes épineux.

Avec également des préalables, comme la résolution du problème du passif humanitaire qui passera forcément par l’abrogation de la loi d’amnistie de 1993, le retour de tous les exilés et leur rétablissement dans leurs pleins droits nationaux, ainsi que des indemnisations des hommes d’affaires négro-africains.

– La CVE n’est pas un parti politique reconnu. Pourrait-elle prendre part au dialogue ? A-t-elle été approchée par le facilitateur dans ses contacts préliminaires ?

– La CVE n’est pas un parti politique mais une coalition de partis, d’organisations de la Société civile et d’indépendants qui a, à son actif : vingt conseillers municipaux et régionaux, une adjointe à la mairie de Nouadhibou, un second tour aux dernières législatives et, surtout, l’organisation des assises nationales de l’opposition qui ont réuni, pendant trois jours, toute la classe politique (représentée ou non-représentée à l’Assemblée nationale) pour une candidature unique et qui a abouti à la fondation de la Coalition Anti Système (CAS). Avec ce rôle joué et l’expérience acquise, j’imagine mal qu’un dialogue national puisse se tenir sans la CVE.

– La CVE qu’avait présidée feu Kane Hamidou Baba a connu de sérieuses dissensions après son décès. Qu’en reste-t-il ?

– Il faut ici noter que tous les partis politiques – et plus encore leurs coalitions – regroupent des sensibilités différentes et donc des intérêts différents. La CVE ne fait pas exception à la règle.

Les dissensions en son sein ont commencé bien avant la disparition de feu Kane Hamidou Baba, avec le départ de l’AJD, des FPC, d’une partie du PLEJ et de DEKALEM, et se sont poursuivies, après son décès, avec des démissions de cadres contestant le maintien de Ba Mamadou Alassane au poste de président intérimaire, puis, à la veille des législatives, le ralliement d’un groupe à Tawassoul, tandis que ce qu’il restait de la CVE initiale cheminait avec l’AJD. Il faut ici ajouter qu’après ces départs, la CVE s’est beaucoup renforcée avec l’arrivée d’autres cadres, des femmes et des jeunes qui ont bénéficié de formations et d’autres plus expérimentés que nous avons candidatés aux législatives, aux communales et aux régionales.

– Où en est-elle avec les démarches pour sa transformation en parti politique ?

– La coalition vivre ensemble est une coalition d’organisations, comme je l’ai dit tantôt, et certaines d’entre elles ne veulent pas être assimilés à une structure politique reconnue. Cela dit, les partis qui la constituent sont invités à chercher un agrément pour pouvoir participer aux élections.

Ceux-ci en sont à leur deuxième tentatives en ce sens, sous le nom « PArti pour la RENaissance et le Vivre Ensemble (PAREN/VE) qui s’est vu rattraper, après avoir déposé sa demande, par la nouvelle loi sur les partis politiques. Après avoir démarché et réuni plus de parrainages et de mandataires requis, il est en train d’effectuer les derniers réglages pour obtenir son sésame.

– Vous êtes membre de la CAS dont le président Birane Abeïd émet de sérieux préalables sur sa participation au dialogue. Partagez-vous sa démarche ?

– Oui, même si certaines de ses prises personnelles de position, comme la libération de l’ex-chef de l’État ne fait pas partie des préalables de la CAS. À part cela, la plate-forme de la CAS reprend plusieurs des préalables qu’il défend.

– Si vous deviez prendre part au dialogue, quelles thématiques souhaiteriez-vous que celui-ci débatte en priorité ? Que pensez-vous de la démarche adoptée par le facilitateur du dialogue, monsieur Moussa Fall ?

– Une fois au dialogue, nous voudrions que l’unité nationale et la cohésion sociale soient débattues en priorité et, ensuite, la démocratie et les libertés publiques. En ce qui concerne le facilitateur, il devrait convoquer tous ceux qui pourraient contribuer à la réussite du dialogue et éviter de frustrer les nombreux partis et organisations de la Société civile non reconnus qui ont un poids important sur l’échiquier politique.

– Que pensez-vous de la proclamation par le gouvernement d’une journée nationale de la diversité et de la nouvelle loi sur les partis politiques ?

– En dehors de nos cimetières, la diversité n’existe pas, notamment au sein de nos institutions nationales, à la radio, à la télévision, à l’hôpital, etc. Il vaudrait mieux commencer par démolir nos quartiers ségrégués et les diversifier. Quant à la loi sur les partis politiques, elle est là pour tamiser leur reconnaissance à partir du ministère de l’Intérieur.

– Dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine, le gouvernement mauritanien procède à l’expulsion d’immigrés en situation irrégulière dans le pays. Que pensez-vous de cette décision ?

– La Mauritanie a signé des traités nationaux et internationaux, des conventions qui encadrent l’immigration.

Elle doit d’autant plus les respecter, à l’instar des autres pays, que les ressortissants mauritaniens sont nombreux dans la sous-région et tiennent une bonne partie de son économie. Or, de ce qui m’a été rapporté et de ce que j’ai constaté moi-même, ces expulsions ont un caractère raciste. Seuls les sub-sahariens et certains noirs non-maures sont inquiétés, alors que les ressortissants d’autres nationalités vaquent tranquillement à leurs occupations.

Pour terminer, je veux attirer l’attention du chef de l’État sur la politisation de l’enseignement qui n’a manifestement que le seul objectif d’exclure les mauritaniens noirs non-maures du système éducatif et de supprimer les écoles privées, unique refuge de cette communauté. Une telle politique n’est pas de nature à poser les jalons du vivre ensemble si systématiquement ignoré par les régimes successifs pourtant censés le promouvoir en priorité.

Propos recueillis par Dalay Lam

By Albert C. Diop

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