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Après le coup d’État du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) contre le président nigérien Mohamed Bazoum, la Cédéao, réunie en sommet extraordinaire à Abuja, a annoncé un train de sanctions d’une sévérité jamais égalée, et a menacé d’une intervention militaire si le pouvoir n’est pas remis aux institutions élues. Entretien avec Abdoulaye Barry, doctorant à l’Université pour la paix (Upeace), une institution académique de l’ONU.

Le président de la Cédéao et président du Nigeria Bola Tinubu, lors de la session extraordinaire à Abuja, le 30 juillet 2023.
Le président de la Cédéao et président du Nigeria Bola Tinubu, lors de la session extraordinaire à Abuja, le 30 juillet 2023. © AFP/Kola Sulaimon

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RFI : Abdoulaye Barry, à quel point la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) vous semble crédible lorsqu’elle brandit la menace d’une intervention militaire au Niger ?

Abdoulaye Barry : Ce qui se passe au Niger aujourd’hui, c’est que le président en exercice de la Cédéao, le président nigérian Bola Tinubu, joue sa crédibilité parce qu’il a donné sa parole le 9 juillet dernier en Guinée-Bissau, lors du dernier sommet, qu’il ne tolèrera aucun putsch en Afrique au sein de la Cédéao. Désormais, on peut dire qu’il a un cas pratique. C’est à lui de nous montrer qu’il tient à respecter sa parole d’honneur. Et aussi, la Cédéao a désormais une dernière chance pour rétablir sa crédibilité.

Est-ce qu’il y a déjà eu des précédents dans ce domaine ?

Oui. On se rappelle donc l’Ecomog [ancien groupe militaire d’intervention placé sous la direction de la Cédéao, NDLR] au Liberia. La Cédéao avait envoyé des forces. Il y a eu aussi en Guinée-Bissau, les forces de la Cédéao étaient là-bas jusqu’aux élections de l’actuel président avant de quitter.

Est-ce que l’intervention militaire a permis dans ces cas à la Cédéao d’imposer sa solution aux pays en crise ?

On peut dire « oui » pour le cas du Liberia, pour le cas également de la Guinée-Bissau. On peut dire que l’intervention de la Cédéao a permis d’aller vers l’organisation d’élections libres et transparentes qui ont abouti au choix d’un président démocratiquement élu. Maintenant, pour le reste, il y a des défis démocratiques qui restent dans ces pays étant donné que la Cédéao n’intervient pas dans la gouvernance démocratique interne des pays.

Si une telle intervention se réalise, est-ce que cette mission serait dévolue à la force en attente ou est-ce qu’elle se ferait sur un montage basé sur le volontariat ?

D’abord, sur le cas du Niger, il y a deux schémas qui sont possibles. Actuellement, je peux vous dire qu’il y a deux brigades d’infanterie de l’armée nigériane qui sont déjà positionnées à la frontière nigérienne, et qui sont prêtes à intervenir à tout moment. Il y a aussi qu’au niveau de la communauté internationale, l’ambassadeur américain au niveau de l’ONU a donné son accord au président élu Mohamed Bazoum quant au soutien des États-Unis pour des mesures au niveau du Conseil de paix et de sécurité en vue de soutenir cette intervention qui pourrait aussi, on va le dire, se dérouler sous un mandat onusien. Ce sont les deux possibilités. Mais à l’évidence, il y a d’autres pays qui pourraient entrer en jeu, notamment le Tchad et l’Algérie qui ont déjà montré leur disponibilité à accompagner le retour à la légalité constitutionnelle.

Quel est l’état de l’armée nigérienne aujourd’hui ?

L’armée nigérienne, ces 10 dernières années, voire ces 13 années, a connu beaucoup de mutations avec la formation de plus d’une quinzaine de bataillons de forces spéciales sous le président Mahamadou Issoufou. Ces formations et ces équipements se sont poursuivis sous le président Mohamed Bazoum. On peut dire que c’est une armée acceptable dans la mesure où c’est le seul pays quand même des trois, avec le Mali et le Burkina Faso, qui arrive encore à assurer l’intégrité de son territoire.

Dans ces conditions, qu’est-ce qu’il risque de se passer d’autant plus que le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), la junte qui a pris le pouvoir, assure qu’il est prêt à défendre la souveraineté du Niger ?

Non, la souveraineté du Niger ne se retrouve pas dans les mains de putschistes. La souveraineté du Niger se trouve dans les mains d’un président démocratiquement élu. Je ne pense pas que les jeunes soldats, l’armée nigérienne de façon globale, va soutenir ces généraux qui ne sont pas, je suis désolé de le dire, des exemples, en tout cas en matière d’éthique, en matière d’intégrité et en matière de serment de soldat.

Mais que se passerait-il si certaines unités allaient au combat ?

Vous vous rappelez que Yahya Jammeh [dirigeant de la Gambie de 1994 à 2017, NDLR] avait dit qu’il allait se battre jusqu’à la dernière goutte de sang. Lorsque l’aviation sénégalaise avait commencé a survolé sa maison, on a vu tout de suite comment les choses ont tourné après. C’est lui-même qui a appelé le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz pour lui dire qu’il voulait une porte de sortie honorable. Et je pense que dans le cas du Niger, lorsque les avions de la République fédérale du Nigeria vont commencer à survoler les terres nigériennes, il y aura des défections parce que tout le monde n’a pas rallié véritablement. Il y a la garde républicaine qui n’a pas rallié et il y a beaucoup d’autres unités qui n’ont pas rallié. Il y aura de plus en plus de défections et je pense que les généraux vont se chercher sans combattre.

Est-ce qu’il existe toujours une porte de sortie honorable pour les putschistes ?

La dernière porte de sortie honorable pour les putschistes, c’est d’accepter de quitter le pouvoir et de partir. C’est la seule porte qui reste. Je ne pense pas qu’ils puissent tenir au-delà d’une semaine parce qu’il y aura une intervention militaire qui va les déloger.

Donc, vous estimez, vous, que l’intervention militaire aura lieu quoi qu’il arrive s’ils ne quittent pas le pouvoir ?

Le président Bola Tinubu – j’ai échangé avec beaucoup de ses proches -, est ferme et il est clair là-dessus. Il a envoyé plusieurs messages aux putschistes du Niger : s’ils ne quittent pas, l’intervention militaire est bel et bien sur la table comme option et il va intervenir à tout moment.

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By Albert C. Diop

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