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À l’issue d’un sommet extraordinaire, les dirigeants de la Cédéao ont demandé la libération immédiate du président nigérien Bazoum et le retour à l’ordre constitutionnel dans un délai d’une semaine. Sans quoi elle se dit prête à prendre toutes les mesures nécessaires, y compris l’usage de la force. Quels pays pourraient être prêts à fournir des contingents pour intervenir au Niger ? Entretien avec Hassane Koné, chercheur principal à l’Institut d’études de sécurité et colonel à la retraite de la gendarmerie mauritanienne.
RFI : Hassane Koné, de telles décisions de la part de l’instance sous-régionale, c’est du jamais vu, non ?
Hassane Koné : Oui, effectivement, c’est du jamais vu depuis quand même un certain nombre d’années. Parce que, même si la Cédéao avait eu, à un moment donné par le passé, à avoir des mesures ou des actions fortes, ces dernières années, elle a beaucoup plus eu des mesures qui sont certes des sanctions. Mais ce sont des mesures qui ne sont pas aussi fortes et aussi fermes. Ce sont des mesures qui se distinguent d’abord par leur rapidité dans laquelle elles sont été prises, ensuite par leur fermeté en accordant une seule semaine aux putschistes pour rendre le pouvoir, et en brandissant aussi la menace d’une intervention militaire. Ce n’était plus dans le langage de la Cédéao. C’est quand même quelque chose de nouveau, de particulier.
La Communauté économique des États l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a annoncé que les chefs d’état-major de la défense des pays membres allaient se réunir immédiatement. Concrètement qui pourrait intervenir militairement au Niger ?
Toutes les forces des pays de la Cédéao sont habilitées à pouvoir agir, mais cela demanderait une logistique d’abord très importante pour déployer ces forces. C’est vrai que les pays les plus proches qui sont aux alentours – vous avez le Nigeria, vous avez le Bénin, vous avez le Togo -, ce sont les pays qui sont quand même en front avec le Niger. Sinon, pour les autres pays de la Cédéao qui ont décidé d’envoyer des troupes, ça demanderait une certaine logistique, un pont aérien qui va déployer des troupes et ce ne sera pas quelque chose qui est très facile.
On sait que par le passé, l’organisation avait une force d’intervention, l’Ecomog. Lui a succédé la force en attente de la Cédéao, mais celle-ci n’est pas opérationnelle aujourd’hui.
Non, la force en attente de la Cédéao n’est pas opérationnelle. Et ça nous amène à cette question : comment la Cédéao peut mobiliser d’abord cette force en si peu de temps ? Et quelles sont les forces qui peuvent être mobilisées en si peu de temps ? En pratique, la planification et la conception de telles opérations prennent un peu de temps. Les pays de la Cédéao ne sont pas tous outillés par des moyens logistiques, surtout par des moyens de transports aériens qui permettent à ce que des troupes soient projetées, c’est un défi énorme à dépasser. Maintenant, c’est une action militaire assez difficile d’abord à concevoir et ensuite à mener, parce que c’est d’abord une armée nigérienne, c’est vrai qu’il y a une partie qui a mené le coup d’État. Elle a été ralliée par une partie. Mais rien n’indique que, si une opération extérieure est lancée, les putschistes ne jouent pas sur ça pour essayer de rameuter toute la troupe autour d’eux, sur la base de slogans patriotiques d’une agression extérieure. Et ça peut aussi avoir des incidences ou des impacts assez importants.
La Cédéao a décidément tapé très fort contre les putschistes, en annonçant également la suspension de toutes les transactions commerciales entre ses États membres et le Niger. Est-ce que ces décisions portent la marque de Bola Tinubu, le nouveau président de la Cédéao ?
Oui. Toutes les décisions qui ont été prises portent la marque du nouveau président de la Cédéao qui, dès son arrivée, dès sa prise de fonction à la tête de la Cédéao, a martelé qu’il n’était plus question d’accepter des changements anticonstitutionnels. Ce sont des mesures qui ont été prises en connaissant aussi la position géographique du Niger, parce que le Niger est un pays très enclavé, un pays très fragile économiquement, et qui est un pays très dépendant du Nigeria, du port de Cotonou et du port de Lomé. Le Niger par exemple est dépendant à 50% de ses besoins énergétiques de la part du Nigeria.
Le président tchadien Mahamat Idriss Déby s’est rendu hier à Niamey pour tenter une médiation. C’est une initiative tchadienne, il n’a pas de mandat de la Cédéao. Sa venue à Niamey peut-elle permettre une avancée, selon vous ?
Oui, la venue du président Déby peut aider à faire avancer les choses. D’abord, le président Déby est voisin du Niger et il y a eu assez de relations ou de rapports entre ces deux armées dans le cadre de la lutte contre Boko Haram autour du bassin Tchad dans le cadre de la force multinationale mixte. Et le général Déby a beaucoup de rapports au sein du milieu des officiers, supérieurs mais aussi généraux, de cette armée nigérienne, etc. Je pense que c’est dans ce sens peut-être qu’il a essayé de faire cette démarche pour essayer de voir en quoi, lui, il peut aider. Je sais que cette action va s’inscrire dans la même démarche que celle initiée par le président Mahamadou Issoufou, qui lui aussi continue jusqu’à présent à mener ce contact pour essayer de trouver une sortie qui, éventuellement, est acceptable pour les putschistes qui demanderont certainement, même s’ils acceptaient une solution, il leur faut quand même certaines garanties. Donc, la venue de Déby ne fait que conforter ou renforcer les démarches qui sont en cours.