byLequotidien 24 avril 2025 0

Les crimes commis entre 2021 et 2024 lors des émeutes sont définitivement effacés. Le Conseil constitutionnel vient de le confirmer en rejetant la loi d’interprétation de l’amnistie, qu’il juge «contraire à la Constitution». Un camouflet apparent qui, dans le fond, arrange le parti Pastef. Le parti au pouvoir pourra s’abriter derrière cette décision en rappelant avoir matérialisé sa promesse de rendre justice aux victimes.
Par Malick GAYE – Se glorifier de la décision du Conseil constitutionnel annulant la loi d’interprétation de l’amnistie pour marquer une rupture ! Cette position de certains membres de la mouvance présidentielle avait déjà commencé à se manifester sitôt la décision des 7 «Sages» connue. En réalité, c’est un camouflet que le pouvoir vient d’essuyer, malgré les démentis.
Présentée comme le meilleur moyen de rendre justice, cette loi d’interprétation de l’amnistie avait un objectif caché : protéger les pilleurs et traduire en Justice les autorités qui avaient en charge la sécurité du pays. Les «Sages» en ont décidé autrement. La situation reste en l’état. Tous les actes commis entre février 2021 et mars 2024 sont effacés. Car «l’article premier de la loi numéro 08/2025 adoptée par l’Assemblée nationale le 2 avril est contraire à la Constitution», déclarent les «Sages». Pour qui, les «faits tenus pour criminels d’après les règles du Droit international, notamment l’assassinat, le meurtre, le crime de torture, les actes de barbarie, les traitements inhumains, cruels ou dégradants, sont inclus dans le champ d’application de l’amnistie lorsqu’ils ont un lien avec l’exercice d’une liberté publique ou d’un droit démocratique ; qu’en incluant ainsi dans le champ d’application de la loi portant amnistie des faits imprescriptibles au regard des engagements internationaux à valeur constitutionnelle du Sénégal, l’alinéa 2 de l’article numéro 08/2025 du 2 avril viole la Constitution».
Pastef perd et gagne la partie
En résumé, l’amnistie est toujours en vigueur. Si l’opposition, qui avait dénoncé une loi partiale, peut crier victoire, le pouvoir n’est pas perdant. Ses militants, qu’il voulait protéger, ne vont pas être inquiétés. En plus, Pastef ne pourra pas être pointé du doigt en évoquant une promesse non tenue. En effet, Sonko et ses lieutenants ont proposé une loi que le Conseil constitutionnel a rejetée. Un narratif qui n’aura pas de mal à passer auprès de la masse. Cependant, il était certain que les «Sages» n’allaient pas approuver une loi aussi partiale.
Est-ce une façon pour le pouvoir de couper la poire en deux ? En tout état de cause, les faits semblent donner raison à ceux qui soutenaient qu’en réalité, Pastef n’a jamais voulu faire bouger les lignes sur cette question, car le parti au pouvoir y a beaucoup à perdre. Cette hypothèse devenait plus crédible au regard de ce qui s’est passé. En effet, c’est Thierno Alassane Sall qui avait déposé une proposition de loi pour faire abroger l’amnistie. Ce que le Bureau de l’assemblée avait balayé d’un revers de la main en prétextant l’incidence financière que va engendrer cette loi. Une Assemblée qui empêcherait de rendre justice aux 80 Sénégalais tués en prétextant des incidences sur le budget et, au même moment, est en train de dégager des poches budgétaires pour rehausser le standing des députés, semble épouser la décision du Conseil constitutionnel qui va maintenir la situation en l’état.
Vers une Cour
constitutionnelle ?
Cette décision du Conseil constitutionnel devra avoir des conséquences. Va-t-elle accélérer la réforme du Conseil ? En tout cas, ce n’est plus un secret d’affirmer que la volonté du pouvoir est d’aller vers une Cour constitutionnelle. Amadou Bâ, qui avait saisi les «Sages» afin de savoir si l’ancien Président les avait consultés sur son éventuelle 3ème candidature, avait déjà lancé l’idée d’une réforme du Conseil. En attendant, cette éventuelle réforme n’est pas la plus urgente dans le domaine de la Justice. La présence de l’Exécutif au sein du Conseil supérieur de la Magistrature ainsi que le lien entre le Parquet et le ministre de la Justice sont pointés du doigt comme des freins à l’indépendance de la Justice. Après plus d’une année au pouvoir et malgré la promesse faite aux Sénégalais, rien n’a changé. Voilà les urgences de l’heure !
mgaye@lequotidien.sn