
Moustapha Diop, ainsi que 4 autres anciens ministres, sera aujourd’hui fixé sur son sort : sera-t-il traduit devant la Haute cour de justice avec le vote, ce matin, de sa mise en accusation dans le cadre de la gestion des fonds Covid-19, en plus de l’affaire Tabaski Ngom ? Si l’issue ne fait aucun doute, le maire de Louga se retrouve au cœur d’un ouragan judiciaire. Alors qu’il a toujours voulu rester dans l’ombre durant son passage dans les différents ministères.Par Justin GOMIS –
Avant la fin de la journée, son destin sera scellé. Après la double levée de son immunité parlementaire, Moustapha Diop, en compagnie de Mansour Faye, Ndèye Saly Diop Dieng, Ismaïla Madior Fall et Sophie Gladima, sera traduit devant la Haute cour de justice, si les députés votent ce matin sa mise en accusation. C’est un faux suspense si l’on sait que la majorité de Pastef va valider la demande comme lettre à la poste. D’aussi longtemps que l’on se souvienne, c’est la première fois que l’on retrouve un ministre sous le coup d’une double traduction devant la Haute cour de justice.
Pour le maire de Louga, c’est une chevauchée vers l’inconnu après avoir incarné la toute-puissance durant les 12 ans du régime Sall. Du ministère de la Microfinance à l’Industrialisation, Moustapha Diop a cultivé une forme de discrétion qui n’a jamais collé à son pouvoir politique. Il n’était pas bavard et avait réussi à «s’invisibiliser», tout en restant un acteur majeur de la vie politique. Pas d’interview ni de sorties fracassantes, même si ses opinions arrivaient à ses destinataires grâce à d’autres courroies de transmission informationnelle.
Lors de la première levée de son immunité parlementaire, on découvrait presque le timbre de sa voix dans les travées d’une Assemblée nationale tombée sous le charme de sa décision de se battre pour laver son «honneur» après les accusations de Tabaski Ngom. C’était le 21 mars. Devant ses collègues députés, Moustapha Diop, tel un avocat, a demandé à ce que son immunité parlementaire soit levée, avant que les députés ne procèdent au vote de celle-ci. «Je n’ai rien à craindre, je ne crois qu’en Dieu. Je suis un talibé de Serigne Touba. Je vous demande, vous députés du pouvoir et de l’opposition, de lever, à l’unanimité, l’immunité parlementaire que le Peuple et la loi m’ont conférée», a ainsi déclaré le député Moustapha Diop.
Il avait invité ses collègues à «se ressaisir» en dénonçant un «précédent dangereux», assurant qu’il n’avait rien à se reprocher : «jusqu’à l’extinction du soleil, personne ne pourra sortir un papier signé par moi ou un audio demandant à Tabaski Ngom de me prêter de l’argent», défie Moustapha Diop. Ce dernier soutient que son chauffeur, cité dans cette affaire, «a réfuté» avoir reçu de l’argent de Tabaski Ngom devant les enquêteurs, tout en demandant qu’une confrontation se fasse. Mieux, Moustapha Diop a indiqué que les autres personnes citées également dans cette affaire ont nié avoir reçu de l’argent de son accusatrice qu’il dit avoir connue en 2022. «Il a été demandé à Tabaski Ngom : «Combien avez-vous prêté à Moustapha Diop ?» Elle a répondu en laissant les 700 millions de francs Cfa pour dire que je lui dois 300 millions de francs Cfa. On lui a demandé d’apporter ses preuves, elle répond que je l’ai maraboutée», raconte le député Moustapha Diop. Tout est parti d’un soutien que son accusatrice a tenu à lui apporter en disant lui rendre l’ascenseur après l’avoir aidée, dit-il, à se sortir d’une difficulté qu’elle avait connue dans le passé, tout en soulignant que son accusatrice a vanté sa générosité pour le soutien qu’il apporte aux autres, selon lui. C’est sous ce rapport que Tabaski Ngom l’a informé avoir dépensé de l’argent pour l’appuyer dans le cadre politique, en lui faisant savoir qu’elle a déboursé 20 millions de francs Cfa durant la campagne électorale des Législatives.
Passé/Présent
Sans doute, le maire de Louga pensait que c’était le seul dossier qui le rattraperait. Mais, l’affaire des fonds Covid-19 a explosé avec la même soudaineté que la pandémie qui avait ravagé le monde. Ce vendredi 2 mai 2025, l’Assemblée nationale du Sénégal a voté la levée de l’immunité parlementaire de Moustapha Diop, ancien ministre du Développement industriel et député-maire de Louga, dans le cadre de l’enquête sur la gestion des fonds Covid-19. Il est soupçonné de détournement de deniers publics portant sur 2, 5 milliards de francs Cfa. Devant les députés, le ministre de la Justice, Ousmane Diagne, note que «les procès-verbaux transmis par le Procureur général près la Cour d’appel de Dakar et le rapport de la Cour des comptes révèlent des irrégularités». D’après le Garde des sceaux, il a bénéficié de 2, 5 milliards F Cfa pour acheter 6, 2 millions de masques. Les paiements effectués en espèces rendent la traçabilité difficile. «Le gestionnaire du compte a admis avoir retiré les fonds via des chèques à des tiers pour payer les fournisseurs en liquide, sur instruction de Diop, violant l’article 104 du décret n°2020-2978 du 23 avril 2020 exigeant chèques ou virements. Le Secrétaire général a confirmé que Diop a choisi les fournisseurs et mandaté le directeur de l’Administration générale pour les contrats», ajoute l’ex-procureur de la République.
Toutefois, Moustapha Diop tente de minimiser les accusations portées contre lui : «Cet argent, ce n’est qu’une somme modique. Les 2, 5 milliards, c’est 0, 025% des fonds. C’est comme prendre une tasse d’eau de la mer. Où sont ceux qui avaient 500 milliards, 400, 300 milliards. Pourquoi moi ?» Cette déclaration jurait avec celle de la première fois où il avait affiché un détachement et une certaine sérénité, supplantés par la fragilité de se retrouver avec deux accusations qui pourraient plomber sa carrière politique en solo après sa rupture avec l’Apr depuis la Présidentielle de mars 2024.
Evidemment, la vie étant un long fleuve pas du tout tranquille, le maire de Louga est rattrapé par un rapport de la Cour des comptes dont les auditeurs avaient buté sur sa toute-puissance du temps du régime de Benno. A l’époque, il les avait éconduits et avait refusé de se soumettre à des vérifications sur sa gestion de la Microfinance en 2015. Il l’avait toujours démenti… Maintenant, c’est un rapport de l’institution de contrôle qui est à l’origine de ses déboires judiciaires. Le karma ?
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