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Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a ouvert mercredi un dialogue national avec l’ambition de réformer le système politique du pays et de renforcer l’indépendance de la justice électorale. Au programme : une semaine de discussions transpartisanes boycottées par plusieurs partis d’opposition dont celui de l’ancien président Macky Sall, qui s’estime persécuté par le pouvoir.

David RICH

Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye lors de l'ouverture du dialogue national au Centre international de conférence Abdou Diouf à Diamniadio, le 28 mai 2025.
Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye lors de l’ouverture du dialogue national au Centre international de conférence Abdou Diouf à Diamniadio, le 28 mai 2025. © Seyllou, AFP

Une semaine de concertations « pour consolider la démocratie sénégalaise ». Le gouvernement a donné, mercredi 28 mai, le coup d’envoi d’un dialogue national réunissant partis politiques, organisations de la société civile, du privé, autorités religieuses et syndicats pour des discussions axées sur l’évolution du système politique sénégalais.

Une « démarche inclusive » néanmoins boycottée par plusieurs forces politiques d’opposition, dont l’Alliance pour la République (APR) de l’ancien président Macky Sall et la République des valeurs (RV) de l’ancien candidat à la présidence Thierno Alassane Sall.

Ancien Premier ministre et candidat malheureux à la présidentielle, Amadou Ba a quant à lui choisi de participer à l’évènement. « Plus le contexte est difficile, plus le dialogue devient une nécessité », a-t-il affirmé mercredi lors de son intervention à la tribune, déplorant un « climat tendu » marqué par « des arrestations et restrictions de libertés ».

Moderniser le système électoral

Ce dialogue national, qui doit prendre fin le 4 juin, est le deuxième organisé depuis l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye, le 2 avril 2024. Quelques semaines après son éclatante victoire à la présidentielle du 24 mars, le nouveau pouvoir avait déjà organisé des concertations sur la refonte du système judiciaire. Cette fois-ci, les discussions s’articulent sur trois grands axes : démocratie et libertés, réformes du processus électoral et réformes institutionnelles.

Parmi les réformes figurent le renforcement des pouvoirs et de l’indépendance de la commission électorale, l’inscription automatique sur les listes et le bulletin unique pour renforcer la transparence des scrutins, ou bien encore un meilleur encadrement des partis politiques.

« Au Sénégal, nous avons plus de 300 partis pour un pays de 19 millions d’habitants, et en réalité nombre d’entre eux ne fonctionnent plus. Un travail de rationalisation et de régularisation est nécessaire pour redéfinir la place des partis politiques et redynamiser la participation aux élections », analyse le politologue et sociologue sénégalais Saliou Ngom.

Éviter de nouvelles crises

Outre l’objectif de mise à jour du dispositif électoral, pour l’adapter aux réalités de son époque, le dialogue national doit permettre de tirer des leçons du passé, indique le gouvernement.

« Le Sénégal est certes un exemple de démocratie mais l’Histoire nous a montré qu’il n’est pas à l’abri de crises préélectorales ni post-électorales. Le but du dialogue est d’identifier les solutions aux facteurs de risques qui ont conduit à ces périodes de troubles pour qu’elles ne se reproduisent plus », explique Adiouma Sow, ministre conseiller à la présidence de la République du Sénégal.  

La date d’ouverture de ces discussions le 28 mai correspond à la Journée du dialogue national, décrétée en 2016 par l’ancien président Macky Sall. S’il en a conservé la date, le gouvernement actuel revendique une démarche bien différente de celle de son prédécesseur.

« Nous avons volontairement choisi une période apaisée, sans agenda politique caché, puisqu’il n’y a pas d’échéance électorale en vue », souligne-t-il, rappelant les « contextes de crise » dans lesquels s’étaient tenus les dialogues organisés par Macky Sall en 2019 et 2023.

« Notre démarche est différente dans le fond et la forme. Nous avons opté pour un cadre le plus inclusif possible, les partis ont été consultés bien en amont pour qu’ils soumettent leurs contributions. Un rapport général sera rédigé et le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre tout ce qui en sortira », poursuit Adiouma Sow.

Le camp Macky Sall visé par la justice

À l’inverse, les soutiens de Macky Sall dénoncent un dialogue de façade, accusant les nouvelles autorités de se livrer à une chasse aux sorcières. 

Il faut dire que l’accalmie entre les ennemis d’hier, l’APR et le Pastef, a été de courte durée. Fin septembre, le Premier ministre Ousmane Sonko, qui avait promis la « rupture » avec l’ancien régime et l’assainissement de la vie politique, a accusé Macky Sall d’avoir « falsifié les chiffres » pour cacher la situation d’endettement du pays. Dénonçant une « corruption généralisée », il avait annoncé l’ouverture de plusieurs enquêtes pour établir des responsabilités.

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Si à ce jour, Macky Sall ne fait officiellement l’objet d’aucune poursuite, cinq de ses anciens ministres ont récemment été inculpés dans le cadre des investigations sur la gestion des fonds Covid. Dernier en date, Amadou Mansour Faye, beau-frère de l’ancien président et ancien ministre du Développement communautaire, de l’Équité sociale et territoriale, a été écroué lundi, accusé « d’association de malfaiteurs », de « corruption » ou bien encore de « prise illégale d’intérêts ».

© France 24

Quelques semaines avant l’ouverture du dialogue, l’APR, parti de Macky Sall, avait annoncé qu’il ne participerait pas aux discussions, fustigeant un climat d’acharnement contre l’ancien président et ceux perçus comme ses soutiens. « Des chroniqueurs, activistes et consultants supposés proches du régime sortant sont traqués, malmenés, vilipendés et emprisonnés », déclarait le porte-parole du parti, Seydou Gueye.

Liberté d’expression en recul ?

Ces dernières semaines, plusieurs représentants politiques et organisations issues de la société civile ont exprimé leur inquiétude quant à ce qu’ils perçoivent comme un rétrécissement de l’espace civique.

Le 22 avril, le gouvernement a durci la législation concernant les médias, conduisant à la suspension de plusieurs centaines d’organes de presse « non conformes », provoquant une levée de boucliers dans la profession.

En parallèle, plusieurs activistes ont été arrêtés ces derniers mois pour « diffusion de fausses nouvelles », le plus souvent après des propos critiques du pouvoir, comme le chroniqueur sénégalais Abdou Nguer ou bien encore le vidéaste Assane Diouf, toujours en détention.

Dans ce contexte, la libération provisoire accordée au militant proche du Pastef Azoura Fall, arrêté pour « discours contraires aux bonnes mœurs » après avoir proféré des insultes contre Macky Sall, a relancé le débat sur l’indépendance de la justice. La veille de son audience, Ousmane Sonko était venu lui rendre visite en prison, ce qui avait été perçu par certains comme une ingérence politique.

« Ousmane Sonko n’est pas allé le voir en tant que Premier ministre mais en tant que chef du parti Pastef. Il n’y a rien d’anormal à ce qu’il lui témoigne son soutien », affirme Adiouma Sow.

Le gouvernement le dit et le répète, la justice est indépendante et elle fait son travail. Mais au sein de la société civile et de la classe politique, l’inquiétude est palpable. « Ce climat de tension autour des libertés d’expression, de manifestation ou encore d’association est préoccupant. Ces droits fondamentaux sont au cœur de toute démocratie », rappelle Saliou Ngom.

Participation ou chaise vide ?

À l’approche de ce dialogue national, la question de la participation aura ainsi suscité de vifs débats au sein des partis d’opposition et de certaines organisations de la société civile critiques du pouvoir. Outre l’APR et la formation de Thierno Alassane Sall, la coalition politique Djone, l’ancien maire de Dakar Barthélémy Diaz ainsi que l’ancienne ministre Aïssata Tall Sall ont également décidé de boycotter l’évènement.

Sénégal : Pastef a "une conception très autoritaire de l'Etat", selon Thierno Alassane Sall
Sénégal : Pastef a « une conception très autoritaire de l’Etat », selon Thierno Alassane Sall © France 24

D’autres figures de l’opposition y ont vu au contraire l’occasion d’exprimer leurs griefs, comme Khalifa Sall, Idrissa Seck ou Amadou Ba.

« Monsieur le président de la République, je rêve d’un Sénégal où l’opposition est écoutée, pas écartée, où le débat est loyal, constructif, pas agressif, ou la critique est utile, pas criminalisée », a déclaré mercredi le dernier Premier ministre de Macky Sall.

Amadou Ba a également réclamé une réforme de la Haute cour de justice, seule juridiction habilitée à juger les présidents et les membres du gouvernement et dont les décisions ne sont susceptibles d’aucun recours.

Pour Saliou Ngom, les tensions actuelles rendent d’autant plus essentielles la participation à ces discussions afin notamment de « garantir les libertés publiques et restaurer la confiance ».

« Nous ne sommes pas aujourd’hui en situation de blocage politique : le président dispose d’une majorité confortable à l’Assemblée nationale, ce qui lui aurait permis de faire passer ses réformes sans concertation élargie. Mais il a fait le choix d’associer des acteurs de la société civile, des chercheurs, des syndicats, des partis politiques au-delà du seul cadre parlementaire. Ce geste d’ouverture est important. »

S’il dit regretter que certains aient opté pour « la politique de la chaise vide », le gouvernement considère que leur absence ne remet pas en cause la nature inclusive du dialogue national.

« Ce boycott n’est pas marginal mais il n’est pas non plus inédit », souligne Adiouma Sow, rappelant qu’en 2019, le PDS de l’ancien président Abdoulaye Wade avait lui aussi boycotté le dialogue national alors organisé par Macky Sall.

« Nous nous félicitons que l’ensemble des segments de la société soient représentés », poursuit le conseiller à la présidence, pour qui le gouvernement « n’aurait pu espérer meilleur démarrage ».

By Albert C. Diop

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