Lequotidien 

A la demande des autorités sénégalaises, la vente aux enchères de la bibliothèque du Président Léopold Sédar Senghor, prévue aujourd’hui à l’hôtel des ventes de Caen en France, a été suspendue in extremis. Sur instruction du président de la République, la vente a été différée, le temps d’entamer des négociations directes entre l’Etat du Sénégal et l’ayant droit, pour l’acquisition de la totalité des objets.

Par Ousmane SOW – C’est une nouvelle «Verson» de l’affaire pour éviter que le patrimoine en péril de Senghor se retrouve entre d’autres mains. Une fois de plus, ce sont les autorités sénégalaises qui ont arrêté in extremis la vente aux enchères de précieux objets ayant appartenu au premier président de la République du Sénégal. Ce 15 avril, à quelques heures du démarrage des enchères, le 5e Président du Sénégal a donné les instructions nécessaires pour mettre fin à un bazardage systématique du patrimoine de l’ancien Président qui perdure depuis quelques années. Mais cette fois-ci, l’hôtel des ventes de Caen en Normandie, n’entendra pas retentir le coup de marteau final d’une vente qui aurait pu disperser aux quatre vents, des ouvrages précieux ayant orné les étagères de la bibliothèque de la demeure des Senghor à Verson en Normandie. Et pour mettre un terme définitif à cette situation qui tend à se reproduire, l’Etat du Sénégal va négocier la totalité des objets. Mais pour Sally Alassane Thiam, président de l’Ong Afrique-Patrimoine, il ne fallait surtout pas négocier, mais prendre le taureau par les cornes et de ce fait, éviter que la situation ne se reproduise.

Vente aux enchères de la bibliothèque personne de l’ancien Président : Nouvelle menace sur le patrimoine de Senghor

«L’hôtel des ventes de Caen organise beaucoup d’enchères. Mais en ce qui concerne les objets de Senghor, on peut dire que la vente a été suspendue, car la ville de Caen est en négociation avec l’Etat sénégalais qui veut avoir la totalité des objets. Mais, on n’a pas à négocier sur des choses de ce genre. Le Sénégal doit régler ce problème dans le cadre de la coopération bilatérale et puis de trouver une solution définitive», déclare Sally Alassane Thiam. Tout comme son prédécesseur, le Président Bassirou Diomaye Faye a donné des instructions à l’ambassadeur du Sénégal en France pour agir, arrêter la vente et recouvrer les objets en question. Dans un entretien avec Le Quotidien ce lundi 15 avril, M. Thiam soutenait que des discussions avec l’Etat français pouvait permettre au Sénégal de demander à acquérir ces objets au franc symbolique.

Le Sénégal à la recherche d’une solution définitive
En tout état de cause, la suspension des enchères a été accueillie avec joie par ceux-là qui avaient lancé l’alerte, des défenseurs du patrimoine de Senghor comme Amadou Lamine Sall et Sally Alassane Thiam, mais aussi des universitaires qui avaient pressé dans un communiqué, les nouvelles autorités à se porter acquéreurs des ouvrages afin de préserver et valoriser ce patrimoine. «On ne peut pas crier victoire actuellement parce que la solution n’est pas encore trouvée. Et puis rien ne nous dit que la dame n’a pas d’autres choses à vendre. Il faut aller régler le problème à la source. Il ne faut pas s’arrêter sur l’aspect superficiel. Aujourd’hui, c’est la bibliothèque. Il y a 6 mois, c’étaient les objets personnels. Il y a plus d’un an, c’étaient les tableaux et décorations. Maintenant, qu’est-ce qu’elle va nous sortir encore ? Il faudrait qu’on anticipe pour régler ce problème une bonne fois», prévient le président de l’Ong Afrique-Patrimoine, Sally Alassane Thiam.

Un délai de quinze jours à l’Etat du Sénégal
La bibliothèque mise aux enchères est constituée de 343 volumes avec chacun la dédicace de leur auteur, pour la plupart «tombés dans l’oubli», a précisé hier à l’Afp, Me Jean Rivola, commissaire-priseur à l’hôtel des ventes de Caen. «L’intérêt de cette bibliothèque, c’est qu’elle permet de voir quelles étaient les affinités intellectuelles de Léopold Senghor, les écrivains avec lesquels il échangeait entre les années 1940 et 1970», a-t-il estimé, jugeant que cela donne «une photographie des personnalités qui gravitaient autour de l’ancien Président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, et son œuvre dans l’immédiat après-guerre». Selon le catalogue de la vente, ils sont pour la plupart reliés, et proposés à des prix allant de 10 à 40 euros. Rares sont ceux affichés au-delà de 60 euros. Les livres sont proposés à des prix «abordables», car «ils n’ont d’intérêt que par la dédicace qui se trouve dedans» or «donner de la valeur à une dédicace, ça reste très subjectif», a jugé Me Rivola, ajoutant que d’ici une quinzaine de jours, s’il n’y a pas d’aboutissement avec l’Etat du Sénégal dans les discussions, la collection sera remise aux enchères.

Lire la chronique – Vente en France des biens de Senghor : Faut-il les acheter ou les réclamer ?

Pour rappel, en octobre dernier, pour la préservation de la mémoire du poète et père de la Négritude, le Président Macky Sall, par la voix de son ministre de la Culture et du patrimoine historique, Aliou Sow, avait acquis 41 biens appartenant à Léopold Sédar Senghor et à son épouse Colette Senghor. Le montant du rachat a été estimé à 160 millions de francs Cfa. Et ces objets se trouvent aujourd’hui au niveau du Musée des civilisations noires de Dakar.

Un tableau de Soulages appartenant à Senghor vendu à 1, 5 million d’euros
Il y a lieu de rappeler également qu’avant la vente d’octobre dernier, l’héritière du patrimoine Senghor avait déjà vendu différents tableaux et décorations qui sont de portée historique. Il y a eu notamment ce tableau de Soulages vendu aux enchères à 1, 5 million d’euros en 2021. «C’est très grave et c’est une honte, au nom de la relation séculaire que le Sénégal entretient avec la France, de voir des objets d’un ancien Président, qui plus est membre de l’Académie française et un des pères fondateurs de la Francophonie, mais aussi qui a donné son nom à la promotion de l’Ecole nationale d’administration d’où est sorti le Président Macron, être dilapidés comme ça. Donc, c’est quelque chose de très regrettable ! C’est une démarche aujourd’hui qui continue de prospérer…C’est quand même un problème très grave», s’est désolé Sally Alassane Thiam dans l’entretien qu’il a accordé au journal Le Quotidien.

By Albert C. Diop

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