(Agence Ecofin) – Le rapport recommande aux institutions internationales telles que le Fonds des Nations Unies pour la population et la Banque mondiale d’utiliser les impacts positifs de la baisse de fécondité sur le bien-être des ménages comme argument pour promouvoir le planning familial, à la place de celui de l’accélération de la croissance économique.  

Le dividende démographique n’est pas très visible au niveau macroéconomique dans les pays d’Afrique subsaharienne, mais il est très palpable et hautement mesurable à l’échelle microéconomique comme en attestent l’augmentation de la richesse des ménages, la baisse de la mortalité infantile et la hausse du niveau d’éducation des enfants dans les familles peu nombreuses, selon un rapport publié le 20 septembre par l’éditeur de revues scientifiques en libre accès MDPI.

1 Adolescent

Moyenne d’années de scolarisation en fonction du nombre d’enfants dans la famille.

Intitulé « Where Are the Demographic Dividends in Sub-Saharan Africa ? », le rapport rappelle que le dividende démographique désigne le bénéfice économique qu’un pays pourrait tirer d’une évolution particulière de sa démographie, à savoir cette période où les personnes à charge/dépendantes (âgées de moins de 14 et de plus de 65 ans) sont moins nombreuses que les personnes actives ou non-dépendantes (âgées de 15 à 64 ans). Avec moins de naissances chaque année, la population d’un pays en âge de travailler grandit peu à peu par rapport à la population dépendante. Une telle évolution démographique est susceptible d’engendrer une accélération de la croissance économique favorisée par l’augmentation des capacités de production, de consommation, d’investissement et d’épargne.

Le concept de dividende démographique a été introduit dans la littérature il y a environ un demi-siècle. Il est devenu à la mode au début des années 2000, lorsqu’il a bénéficié de beaucoup de publicité de la part de plusieurs organisations internationales telles que le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) et la Banque mondiale dans le but de promouvoir la planification familiale dans les pays africains.

L’idée sous-jacente à cette approche était de dire qu’une fécondité plus faible entraînerait une baisse de la proportion de la population dépendante et une hausse de la population non-dépendante, et donc une croissance économique plus élevée, produisant un dividende, comme un investissement financier.

Manque de preuves statistiques

Le rapport élaboré par Michel Garenne, professeur au Département des statistiques et des études démographiques à l’Université du Cap-Occidental et chercheur à l’Institut de Recherche pour le Développement (France), souligne que le paramètre clé de cette relation est le « taux de dépendance », c’est-à-dire le rapport entre la population dépendante/non active (consommateurs uniquement) et la population active (producteurs et consommateurs). Plus le taux de dépendance est faible, plus l’avantage économique escompté est élevé (plus de producteurs par consommateur).

En Afrique subsaharienne, où les taux de fécondité ne cessent de baisser dans tous les pays depuis les années 1950, le taux de dépendance moyen s’est établi à 0,80 sur la période 2015-2019 contre une moyenne mondiale de 0,53.

Les différences entre les pays de la région étaient importantes durant cette même période. Les taux de dépendance variaient de 0,40 à Maurice (le pays ayant le plus faible taux de fécondité) à 1,15 au Niger (le pays où la fécondité est la plus élevée).

Au niveau national, les relations entre le taux de dépendance et la croissance économique sont complexes et peuvent aller dans des directions opposées, de fortement négatives à fortement positives sur la période 1950-2019. A titre d’exemple, les coefficients de corrélation entre les taux de dépendance et les taux de croissance économique calculés sur des périodes de 5 ans varient de -0,796 en Tanzanie à +0,698 au Botswana.  

Le rapport conclut que les dynamiques du taux de dépendance et du taux de croissance économique sur la période 1950-2019 en Afrique subsaharienne apparaissent largement indépendantes d’un point de vue statistique. Et même lorsqu’elles sont apparemment corrélées, c’est parce qu’elles se sont produites en même temps pour d’autres raisons telles que les variations des prix des matières premières ou des investissements étrangers.

En Afrique plus qu’ailleurs, l’impact du dividende démographique sur la croissance économique ne semble pas mesurable, car la croissance économique répond avant tout à d’autres logiques.

Une amélioration notable du bien-être des ménages

 Les composantes de la croissance économique sont complexes, puisqu’elles impliquent non seulement l’épargne et l’investissement au niveau national, mais aussi plusieurs autres composantes mesurables comme les investissements étrangers, les transferts des migrants, les exportations de ressources naturelles (pétrole, gaz, minerais), l’aide internationale ainsi que des composantes non mesurables, telles que l’innovation, la gouvernance et l’efficacité du système bancaire. En conséquence, la corrélation entre la baisse de la fécondité et la croissance économique semble être noyée parmi les nombreux autres facteurs de croissance économique. Pour prouver ou mesurer un effet du dividende démographique, il faudrait prendre en compte tous les facteurs de la croissance économique, ce qui est difficile, voire impossible à faire. Toutefois, il faut reconnaître qu’un taux de dépendance plus faible devrait avoir des effets positifs sur la croissance économique, même s’ils ne peuvent pas être mesurés.

Le rapport souligne cependant que le dividende démographique est très mesurable au niveau microéconomique, c’est-à-dire à l’échelle des ménages, au sud du Sahara.

A ce niveau, une baisse de la fécondité implique un changement dans la composition du ménage, avec moins d’enfants à élever, un changement de la quantité (nombre d’enfants) vers la qualité (meilleurs soins, éducation plus poussée) et plus d’investissements dans les enfants et, par conséquent, plus de richesse à long terme. Cette boucle positive a été prouvée par les enquêtes démographiques et de santé (EDS) réalisées dans 39 pays d’Afrique subsaharienne. Les auteurs de ces enquêtes ont réparti des échantillons de femmes fertiles âgées de 40 à 49 ans en cinq catégories : faible fécondité (1-3 enfants), fécondité moyenne (4-6), fécondité élevée (7-9), fécondité très élevée (10-12) et fécondité exceptionnellement élevée (13-15).  Ils ont pu constater un niveau plus élevé de la richesse des ménages, une baisse de la mortalité infantile et une hausse du niveau d’éducation des adolescents âgés de 15 à 19 dans les familles où les femmes ont des niveaux de fécondité faible. Raison pour laquelle l’auteur du rapport recommande d’utiliser les impacts positifs avérés de la baisse de fécondité sur le bien-être des ménages comme un argument fort pour promouvoir le planning familial en Afrique subsaharienne à la place de celui de l’accélération de la croissance économique.

By Albert C. Diop

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