Le Président Macky Sall vient de sortir d’une rencontre avant-hier, regroupant des dirigeants africains avec le Chancelier allemand autour de discussions concernant les relations économiques de ce pays avec l’Afrique. On a appelé cela «Compact pour l’Afrique». Et les Allemands ont eu la délicatesse d’y associer officiellement le G20. Délicate attention, d’autant plus que, depuis son sommet de New Delhi, en septembre dernier, le G20 a officiellement accueilli l’Union africaine (Ua) comme membre à part entière. De manière ironique, au mois de juillet de cette année, le Premier ministre Narendra Modi avait déjà accueilli plusieurs dirigeants africains dans le cadre du Forum du Sommet Inde-Afrique. Il faut croire que les Africains sont bien aimés et beaucoup courtisés.
On a depuis longtemps l’habitude de voir nos dirigeants se rendre à Washington, pour des sommets avec le tout-puissant Président des Etats-Unis d’Amérique. Les villes de France et de Navarre ne sont pas inconnues de la plupart des dirigeants africains, participants assidus des fameux sommets France-Afrique (oups !) ou Afrique-France, comme l’on préfère maintenant dire. D’ailleurs, beaucoup n’étaient pas contents d’avoir été snobés à Montpellier, quand Macron les a préférés à la «Société civile» africaine dont on ne sait pas qui vraiment en fait partie…
Il n’empêche, nos dirigeants ont pu se consoler avec les sommets Ticad avec le Japon, ou Focac avec la Chine. Et le Sénégal a pu se sentir particulièrement gonflé d’orgueil, car pour ces deux rencontres l’année dernière, notre pays, à travers le Président Macky Sall, avait été choisi comme co-président, aux côtés respectivement des dirigeants japonais et chinois. Par ailleurs, pour en revenir aux sommets avec la France, le dirigeant français ne manque pas d’opportunités pour consoler ces frustrés, en les invitant à l’Elysée à Paris ou dans un autre château dont regorge le territoire français à n’importe quelle occasion. Il y a également eu d’autres occasions de rencontre, lors des sommets Ue-Afrique.
Ce qui n’aura pas empêché d’autres, et aussi nombreux, de se rendre à Moscou ou à Saint-Pétersbourg, à l’invitation du dirigeant russe Vladimir Poutine, pour le Sommet Russie-Afrique. L’inculpation de ce dernier par la Cpi, à l’instigation des dirigeants occidentaux, pour faits de guerre en Ukraine, n’a pas échaudé les Africains. Les inculpations de la Cpi, nous on vit avec. Le ci-devant dirigeant soudanais Omar El Béchir, bien que déchu du pouvoir, n’a toujours pas vu les cellules de La Haye. Donc, Poutine n’est pas encore infréquentable. D’autant plus qu’il peut encore offrir des céréales et des engrais à certains de nos pays…
Et puisque les Africains sont toujours à la recherche de quelque chose -subsides, projets de «développement», infrastructures ou tout simplement finances-, ceux qui se croient un peu mieux lotis que nous n’hésitent pas à demander à nos dirigeants de faire le voyage pour les rencontrer. Tous frais inclus ?
Recep Tayyip Erdogan, le nouveau Sultan turc, s’est aussi lancé dans la mode. Fort de ses nombreux investissements dans plusieurs pays africains, son pays peut présenter un modèle de développement des infrastructures qui peut être accrocheur pour des pays qui ne veulent pas se retrouver coincés dans un «partenariat» d’endettement avec le pays de Xi Jin Ping dont certains se demandent comment s’en débarrasser.
Il faut croire qu’avoir un pied en Afrique, être bien vu de ses dirigeants, peut être payant sur le plan géopolitique. Ne dit-on pas depuis des années que si la France est encore comptée comme grande puissance, c’est grâce à ses intérêts sur le continent africain ? Rien d’étonnant donc, à voir ceux qui aspirent à la puissance, ou qui veulent se faire reconnaître ainsi, recourir aux méthodes que la France et d’autres ont pu éprouver avec plus ou moins de succès. L’Arabie Saoudite de Mohamed Ben Salman Ben Abel Aziz Al Saoud est ainsi la dernière à entrer dans la brèche. Elle a organisé son sommet la semaine dernière à Ryad, et pour montrer qu’elle ne regarde pas à la dépense, elle a promis plus de 500 millions de dollars de projets à une douzaine de pays, nouveaux venus parmi ses «amis». Les anciens, comme le Sénégal, savent eux à quel point ils peuvent être choyés. On peut parier que, au grand dam des Occidentaux, des dossiers de respect des droits humains, ou de la mort du journaliste Kashoggi, n’ont pas été soulevés à l’occasion.
Ces rencontres multilatérales sont tellement prisées qu’elles en viennent à éclipser les sommets de l’Union africaine. L’ancien président de la Commission de l’Ua, M. Alpha Oumar Konaré, s’en plaignait déjà en 2007, lors d’un Sommet Ue-Afrique. Il ironisait même dans son discours si, à ce rythme, on ne verrait pas bientôt des sommets entre pays africains et «Singapour, Malaisie ou Turquie». Pour la Turquie, le Président Konaré devrait être satisfait. Il reste les deux autres, et on peut penser que c’est juste une question de temps. Tant que les Africains ne feront pas d’efforts pour se hisser, sur le plan économique, au niveau des pays qui les «invitent», le «partenariat» dont on se gargarise, sera toujours celui du fermier et de la vache. A chacun de voir qui est la vache et ce qu’elle gagne.
L’entrée en force de la Chine, de l’Inde ou de la Turquie n’a encore permis à aucun de nos pays d’impulser un décollage réel. Mais à Dakar, Abidjan, Cotonou ou Mombasa, on peut déjà voir les effets de leur présence. On ne sera pas cruel pour parler des «5 chantiers» convenus entre l’ancien Président Kabila de Rd Congo avec les Chinois. Une convention à 5 milliards de dollars qui n’aura produit qu’une grande artère en plein centre de la capitale Kinshasa…
S’il ne s’agit que d’afficher notre «amitié et notre partenariat», sans que cela n’améliore sensiblement la vie de nos concitoyens, que nos chefs d’Etat et de gouvernements se préparent à s’envoler pour des sommets avec les Emirats arabes unis, le Qatar, l’Iran, le Vietnam, Cuba, le Brésil, l’Argentine, le Panama, le Canada, et pourquoi pas Taïwan. Ah non ! J’oubliais que pour celle-là, le grand frère Xi Jin Ping ne le permettra pas !
Par Mohamed GUEYE / mgueye@lequotidien.sn